Dans la première partie de l’article “L’ère des drones a (officiellement) commencé”, j’évoquais l’article dans The Economist paru en 2015 qui nous souhaitait la bienvenue dans la nouvelle ère des drones, et rebondissait sur cette apparition de nouveaux OVNI en prenant comme premier exemple leur impact sur notre quotidien et la question de l’identification pour le grand public de leurs fonctions et intentions.

Je concluais en faisant appel aux industriels fabricant des drones afin qu’ils aident le grand public dans ce travail de reconnaissance et d’identification. Mais côté industriels, il existe de nombreux acteurs.

UTM, ou la naissance d’une nouvelle régulation aérienne

En début d’année 2019, les autorités américaines (FAA et Congrès) donnent le coup d’envoi à des autorisations franches et massives (ouverture et régulation du marché au niveau national) de l’utilisation des drones.

Et cela me remémore une conversation avec un de nos partenaires chez THALES - avec qui nous travaillons depuis de nombreuses années sur de nombreux sujets d’innovation dans le domaine aéronautique) - il me faisait remarquer alors « ce qui est extraordinaire avec les drones et l’UTM (Unmaned Traffic Management = gestion du trafic aérien des drones), c’est que nous en sommes au tout début de l’histoire, tout est à inventer, comme au début de l’aviation où il a fallu imaginer et développer les règles du trafic aérien alors naissant ».

Cet acte lancé par les Etats-Unis en 2018, serait-il un Bis Repetita des conventions de Paris (1919) et Chicago (1944), où tous les pays concernés par la révolution naissante de l'aéronautique se réunissaient pour définir ensemble une régulation du transport aérien international.

L’ICAO fête d’ailleurs ses 75 ans cette année et propose sur son site une page dédiée qui présente son histoire, et les opportunités futures.

Aujourd’hui pour les drones, il semble que les pays créent leur propre régulation (USE avec FAA donc, ou Grande-Bretagne avec la TSC). L’europe vient d’annoncer un début de réglementation. Mais qu’en est-il en Afrique ou en Asie ? Bref, sur toute la planète ? A ma connaissance, pas de convention internationale à venir, d’un niveau équivalent à celle du monde aérien il y a 100 ans.

Et pourtant, les professionnels du trafic aérien dont déjà concernés par cette nouvelle ère...

UTM, ou la nécessité d’une taxonomie de cette nouvelle espèce

En effet, dans l’actualité de ces derniers mois, nous avons eu connaissance des survols de drone « inconnus » au dessus des aéroports Londoniens ou à Singapour. Ce n’est qu’un exemple de l’impact de cette nouvelle ère des drones dans notre environnement non encore adapté, où la cohabitation dans l’espace aérien reste imparfait.

Après ces incidents, les parties prenantes ont pris le sujet à bras le corps pour imaginer et tester de nouvelles solutions. Par exemple ici pour l’aéroport de Londres.

Reste qu’un chemin gigantesque s’ouvre à toutes ces autorités. Car peut-on imaginer cette future régulation, limpide et sécurisante, alors que la liste des applications d’utilisation des drones ne cesse de grandir ? Voici pour preuve une étude, datant de près d’un an, qui tentait d’en dresser une taxonomie possible - hors utilisation de loisirs :

  • Génie civil
    • travaux publics ;
    • contrôle et inspection d’ouvrages d’art, de sites industriels, de bâtiments, de ponts, de barrages ;
    • cartographie et le calcul de volumes (cubature) ;
  • Infrastructures et réseaux
    • contrôle et inspection de réseaux de transport et d’énergie (voies ferrées, réseau électrique, pipelines, oléoducs, gazoducs) ;
    • gestion industrielle des sites d’exploitation de l’industrie minière et pétrolière (hors réseaux d’acheminement) ;
  • Agriculture
    • agriculture de précision, surveillance des cultures, des parcs nationaux ;
    • Épandage ;
  • Études scientifiques
    • surveillance des ressources naturelles, étude de l’atmosphère, étude des sols et des océans, études et prévisions météorologiques ;
  • Information et média 
    • prises de vue pour cinéma, photographie, publicité, loisirs, communications ;
  • Télécommunication
    • antenne relais mobile ;
    • Inspection ;
  • Sécurité civile
    • sécurité des milieux naturels : incendies de forêts, recherche et sauvetage (avalanche, catastrophe naturelle), évaluation des dégâts en cas de catastrophe naturelle, sécurité des frontières/sécurité intérieure : contrôle aux frontières, surveillance maritime ;
    • surveillance du trafic routier, des transports et de sites industriels ;
    • sécurité urbaine : maintien de l’ordre et sécurité publique ;
  • Logistique
    • livraison et transport de fret ;
    • inventaire et autres en interne.

Et au passage, rajouter toutes les utilisations néfastes possibles

Si l’on devine dans ce “bestiaire” l’infinie de possibilité et d’impacts pour le grand public, utilisateur final des services apportés par ces drones, il est également important de considérer l’impact pour les professionnels de ce nouveau mode de transport.

UTM, ou surveiller pour protéger

On pourrait en effet prendre la liste des applications d’usage de drones pour en parrallèle lister la multitude de personnes, rôles, et métiers qui peuvent intervenir. Mais le vertige survient si on s’imagine que si “85% des métiers de 2030 n'existent pas encore”, alors combien pourrait-on en imaginer dans le futur pour ces drones ?

Cet exercice pourrait faire l’objet d’un article à part entière, mais prenons pour le présent article un métier que nous connaissons bien chez use.design pour avoir traité le sujet à de nombreuses reprises dans le domaine aéronautique (civil et défense) : celui des contrôleurs et régulateurs aériens (contrôle en route, d’approche et d’aérodrome). 

En effet, s’il sait parfaitement gérer des objets volants identifiés (tous types d’avions), il n’a pas encore la connaissance, les processus, et les outils pour appréhender nos OVNeI (tous types de drones). Les incidents dans les aéroports, bien que rares, cités plus haut en sont un bon exemple ; même si certains considèrent que ce ne serait bien moins grave qu’une collision avec un oiseau ! D’ailleurs dans sa page sur la sécurités des aérodromes, la DGAC présente de nombreuses informations sur le risque animalier, mais peu sur le risque de collision avec les drones.

Or c’est bien un des enjeu des gestionnaires de trafic aérien demain. Sera-t-il aidé et accompagné par son système informatique pour distinguer cette multitude de nouveaux dispositifs volants, et pour lesquels il devra adapter son analyse, son processus et ses actions ?

Aujourd’hui un contrôleur “en route”, gère en binôme une petite trentaine d’avions par heure, et chaque vol répond à des règles précises : pour (beaucoup) simplifier, par exemple, aujourd’hui un avion vole dans un couloir qui est défini géographiquement et selon un comportement (plan de vol) réglé et déposé aux autorités. Et c’est disons presque 99% de l’activité de suivi d’un contrôleur aérien.

Mais demain ? Quand ce chiffre sera multiplié par 2, 3, voir 10 avec tous les drones à gérer ?

Et que pour chacune de nos utilisations listée plus haut (drones de loisir, de logistique, de travaux, d’intervention, de surveillance, de police...), les règles seront différentes ?

Quand il ne s’agira plus seulement de gérer des plans de vol, mais des comportements « imprévisibles » volontaires (je pilote mon drone d’un point à un autre sans me soucier de régulation) et surtout involontaires (mon drone est en panne et tombe sur une zone habitée, ou il perd sa cargaison…), qui sera en charge d’assurer notre surveillance et notre protection ?

UTM, ou le futur à imaginer

En conclusion, vous imaginez bien que mon propos est tout autant de vous présenter une situation qui semble pleine de risques et d'inconnu d’une part, mais surtout d’autre part d’une belle promesse d’un avenir où “tout est à imaginer, à concevoir… comme au début de l’aviation, il y a 100 ans”... 

Les autorités de régulation travaillent à imaginer cet avenir, les industriels également, et en particulier les acteurs du logiciel de gestion de drone comme THALES, AIRXOS, AIRMAP , TERRADRONE, ASD, ou bien d’autres encore existant ou à venir. 

Et certaines autorité commencent à s’équiper, par exemple la Principauté de Monaco avec un système de surveillance dédié aux drones (UTM) fourni par ASD

Et comme tous ces sujets d’avenir, où l’imaginaire et la créativité doivent aussi prendre place, j’ose imaginer que les designers pourront co-participer à sa vision et en projeter les bonnes solutions pour tout ce panel d’utilisateurs, de clients, auxquels ils devront également imaginer les services de demain.


Patrick Avril — CEO  @ Use Design, une agence de design à Paris qui donne vie à des stratégies, des produits digitaux et des services innovants.