Dans cet article, je voudrais débuter en remerciant Greta Thunberg, Ed Hawkins, John Snow (non pas celui que vous pensez tous, fan de GOT), et nos amis francophones qui sont descendus en masse ce week-end pour des marches gigantesques pour le climat ! (les 500 000 Québécois à Montréal, ou les 60-100 000 Suisses à Berne, contre 20 000 à Paris, on a encore du boulot…).

Après le discours enflammé et rageur de Greta Thunberg à l’ONU - je fais partie de ceux qui ont la conviction naïve de croire qu’une personne peut avoir le pouvoir de changer le cours de l’histoire (en bien), fusse-t-elle un enfant -, une autre nouvelle à propos du réchauffement climatique vient en effet chambouler notre quotidien.

Et cette nouvelle est un graphique, un graphique qui aurait enfin la simplicité et la force d’une prise de conscience irréversible et universelle. Rien que ça !

C’est en tout cas ce qu’entrevoit Adele Peters dans son article de Fast Company qui relaie le travail original d’Ed Hawkins et qui démontre l’immense efficacité et popularité du graphique.

Ce graphique, vous pouvez le trouver un peu partout, et en particulier dans l’Atlas de l’Anthropocene (photo de l’en-tête de cet article), et vous pouvez faire le vôtre sur ce site

Il présente l'évolution des températures du globe à un endroit donné, depuis que les scientifiques enregistrent cette information (environ 1850). On voit donc des lignes verticales - clin d'oeil à notre designer anglais préféré ? - bleu et rouges. Le bleu ce sont des températures froides, le rouge les chaudes. Le message est clair = le réchauffement est évident et c'est une tendance partagée à tous les endroits de la terre.

Démarrer une conversation

Ed Hawkins est à l’origine de ce site, des données, et donc du graphique originel. En parfait scientifique il sait que le changement climatique est un sujet complexe, pendant longtemps difficile à appréhender, mais que maintenant les effets sont là, considérables et terribles. Son ambition était donc de trouver une représentation simple à comprendre, pour aider à la prise de conscience, pour aider “à démarrer une conversation”.

Quoi de mieux comme ambition pour un créateur que son travail crée le dialogue ! Je trouve cette approche tout simplement géniale.

Génial, car il aborde un sujet très clivant avec bienveillance, simplement en montrant un visuel. Un visuel qui deviendra peut-être l'icône d’un changement de mentalité et d’action indispensable pour notre futur. L’icône d’une génération qui prend véritablement conscience et qui décide de passer à l’action. Un peu comme les enfants de ce couple de bourgeois de gauche dans le film La Crise 😉

Avant le réchauffement climatique, le Choléra

Mais revenons à notre graphique et à son - on l’espère - double rôle d’initiateur de dialogue et de cristalliseur de conscience. Ce n’est en effet pas la première fois qu’un visuel permet une prise de conscience majeure.

J’ai souvenir d’en avoir découvert un en 2005 à l’occasion de l’exposition “You Are Here : The Design of Information” au Design Museum à Londres. Cette carte était l’oeuvre d’un certain John Snow, scientifique anglais du XIXè siècle. Au milieu de ce siècle, la ville de Londres était ravagée par de nombreuses épidémies de Choléra, et la science à l’époque ne trouvait rien à y faire car tous pensaient que les miasmes en étaient la cause. Fort heureusement, Pasteur et tant d’autres viendront bientôt démontrer le contraire.

Mais le premier à faire cette démonstration - que le Choléra n’était pas dû aux miasmes mais aux eaux contaminées - c’est justement ce John Snow qui , dans un ouvrage de plus de 200 pages, y présentait de nombreuses études statistiques et 2 cartes. Sur l’une d’elle était représenté un quartier de Londres et voulait graphiquement et simplement démontrer sa théorie et présenter sa conclusion : le nombre de malades et décès du Cholera était lié à proximité des pompes à eau potable. Il avait ainsi la réponse au titre de son ouvrage “On the mode of communication of Cholera”.

S’il ne vécut pas assez longtemps pour voir le résultat de son travail, celui-ci eu tout de même un impact considérable puisque le visuel passa de main en main... Et il eu 2 grands effets :
. le premier, d’aider les scientifiques, en se basant sur son étude, à démontrer les causes du Choléra,
. le second, d’engager l’énorme chantier de création d’un réseau d'égouts digne de ce nom pour cette ville monde de l’époque. Ce fut Joseph Bazalgette qui s’en chargea avec un immense talent et qui restera dans la postérité.

(Carte de Charles Minard de 1869 montrant le nombre d’hommes au sein de l’armée de Napoléon lors de la campagne de Russie de 1812, leurs mouvements, ainsi que les températures rencontrées lors du retour)

Une image vaut mille mots - Confucius

Le premier effet a donc permis une prise de conscience, puis démonstration, que les miasmes n’étaient pas à l’origine des maladies.

Le second effet a ouvert la conscience des forces politiques de l’époque d’enfin traiter le problème à sa source, et d’y consacrer tous les moyens financiers, humains et technologiques de l’époque.

Certains parlent d’un Data Driven Insight au sens où pour nos 2 graphiques (Snow et Hawkins) c’est la donnée (data) qui apporte l’enseignement (insight). Et ils ont raison. Mais que serait cette donnée sans la simplicité et la lisibilité du schéma ? Snow et Hawkins ne sont pas graphistes ou designers, mais ils ont eu le talent.

C’est sur le second effet du travail de Snow que je voudrais conclure. Comme pour lui au XIXè siècle, j'espère que les “Stripes de Hawkins” pourront nous aider à nous unir - enfin en pleine conscience, et non dans le déni, l’évitement, ou le “nos enfants se débrouillerons, je serai mort avant” - pour donner un futur à notre humanité.

Car l’enjeu est à ce point important que si l‘on veut éviter la catastrophe, nous devons forcer nos politiques à y consacrer tous les moyens financiers, humains et technologiques de notre époque.
Quitte à se faire gronder depuis le haut d’une tribune par une enfant !


Patrick Avril — PDG @ Use Designune agence de design à Paris qui donne vie à des stratégies, des produits digitaux et des services innovants.