Il y a quelque temps maintenant avait lieu la “Masterclass : les grands enjeux de la #Smartcity” organisée par Station F à Paris. 

Je suis ressortie de cette masterclass dubitative… voici pourquoi.

Tout d’abord, j’ai été impressionnée par l’accélération du processus d’innovation dans ce domaine notamment dans la mobilité qui reste le pan de la Smart City le plus développé. À ma grande surprise, de plus en plus de startups se concentrent sur des innovations human friendly - l’innovation au service de l’humain. J’ai notamment en tête Streetco qui propose des itinéraires adaptés aux personnes à mobilités réduites - un réel sujet de société lorsque l'on réalise qu'il peut concerner chacun d'entre nous. A titre informatif, on parle d'une personne à mobilité réduite aussi bien pour une femme enceinte, un parent avec une poussette, un ado qui s'est foulé la cheville, une personne âgée, handicapée ou malvoyante... Il s’agit tout simplement d’un individu ayant des difficultés à se mouvoir de manière temporaire ou définitive. Et pourtant nos villes ne sont pas toujours praticables pour ces personnes. 

Une autre surprise fut QUCIT, un vrai coup de coeur pour moi. Cette startup base son business model sur la data. Cependant, la technologie ne remplace pas la relation humaine. Le driver / moto de QUCIT est de mettre la data et l’IA au service du bien-être du citoyen. Concrètement, elle collecte et cartographie les comportements humains en prenant en compte tous les facteurs contextuels influençant ces comportements (géolocalisation, temporalité, …). Les modélisations de ces données permettent d’améliorer les services et d’identifier de réels difficultés dans l’expérience urbaine : pour l’optimisation des vélos en libre service ; pour l’amélioration du confort des espaces publics ou privés ; pour rendre intelligent le stationnement ; et enfin renforcer la sécurité routière.

Bien que la course à la data soit au centre des préoccupations, parmi les startup présentées plusieurs proposent des solutions alternatives pour faire évoluer nos usages et nous responsabiliser. En effet, notre planète est à mal. Il nous faut changer nos habitudes individuellement mais aussi en communauté. Cela passe par repenser nos interactions, notre consommation, nos déplacements, et notre gestion des déchets (entre autres).  C’est ce que propose LOVEYOURWASTE qui transforme les bio-déchets des entreprises en énergie. Tout aussi engagée dans cette lutte contre le gaspillage, TOOGOODTOGO et PEPINO donnent une 2ème chance aux produits périssables. Via une application des commerçants vendent leurs produits en fin de vie à moindre coût. TOOGOODTOGO a complété son engagement pour l’environnement en incluant dans son service une dimension sociale nous permettant de faire donation de notre achat à un sans-abris.

Dans l’ensemble, cette Masterclass nous a apporté de bonnes nouvelles concernant l’évolution de nos villes pour assurer bien-être et durabilité. Cependant, un grand nombre de startups présentées (et non citées dans cet article) sont centrées sur la Data et la Tech. L’enjeux premier serait de développer de nouvelles solutions numériques, d’innover et de faire mieux que son voisin. Face à ce constat, j’ai eu le sentiment que les startups se développent côte à côte, en parallèle et non ensemble pour un objectif commun. Leurs offres numériques semblent se détourner des utilisateurs premiers des Smart Cities, les citoyens, pour se tourner vers des prouesses technologiques. Avec cette course à l’innovation technologique, on voit apparaître des solutions digitales qui s'immiscent dans notre quotidien, collectent de la data et la revendent. 

D’ailleurs, je souhaite remercier les intervenants de cette Masterclass qui ont rappelé la définition de “Smart Cities” : villes au service des habitants. Ces villes sont imaginées vivables et mobiles proposant des moyens de transport rapides, faciles et agréables. Elles se doivent d’être résilientes et citoyennes en permettant une réappropriation de l’espace urbain par les citoyens. Enfin, les “Smart Cities” sont frugales à savoir agréables à vivre et consommant le moins de ressources naturelles possibles. Cette définition ne sous entend pas qu’il faut enclencher une course à la Data et à l’innovation Technologique. Le Low Tech a toute sa place ici également. 

Cette conférence m’a poussé à me poser des questions sur les effets de cette course vers une croissance continue et exponentielle. Certes, elle nous permet de vivre dans un monde de confort, où tout semble possible, du moins en occident. Cependant, ne sommes-nous pas témoins d’une époque où les relations deviennent virtuelles ? Où les liens sociaux et culturels s’estompent ? Où notre droit à l’anonymat et l’intimité diminue ? Dans ce changement que vivent nos villes, on peut y voir une évolution de la société comme nous en avons connu tout au long de l’Histoire. Mais donnons-nous réellement des chances d’adaptation à cette nouvelle société à tous les citoyens ? Cette course n’oublie-t-elle pas le pan social et citoyen de la Smart City ? Je ne peux m’empêcher de penser à la théorie d’évolution de Darwin “la survie du plus apte . Il est évident qu’il y a une recherche constante chez les entrepreneures d’innovation disruptive. Depuis la sortie de l’iPhone par Apple, égoïstement, on souhaite inventer LA solution que tout le monde connaîtra. Est-ce le plus SMART ? Oui, l’innovation est indispensable pour l’économie mais l’innovation à quel prix ? l’impact environnemental et social est-il mesuré ? Je me fait moins de soucis pour le pan économique.

De plus, je ne peux m'empêcher de constater la quasi absence d’un acteur fondamental quand il s’agit des questions concernant les villes et la citoyenneté : l'administration Publique. Dans un pays comme la France, la notion de Service Public est importante : trop pour certains, pas assez pour d’autres. Pourtant, il semblerait que cet acteur soit mis de côté ou se met de côté lorsqu’il s’agit de définir les villes de demain. C’est aussi ce que pointe du doigt Mathieu SAUJOT, directeur du programme transitions numériques et écologiques à l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) et de Thierry MARCOU, directeur du programme sujets urbains à la Fondation Internet nouvelle génération  : “de nombreux acteurs développent des offres principalement en marge des services publics de transport”.

Okay, Paris est un nid d’innovations, je dirais plutôt de bulles d’innovations qui s’entre-choquent. Quand une innovation n’est plus rentable, elle est remplacée par une autre. Le passé, le présent est remplacé par du nouveau. Des acteurs émergent puis disparaissent. Le Service Public est-il lui aussi voué à disparaître ? Nos innovations ne seraient-elles pas plus viables et durables si elles prenaient en compte l’existant, non pas pour combler un trou, mais pour l’améliorer et le compléter ? Quid de la transformation des politiques publiques ? Quand arrivera-t-elle à suivre notre capacité d’innover ? 

Il y a bien 2 mondes qui évoluent en parallèle : l’un plus rapidement que l’autre.  Pourtant des villes d’innovation comme Nantes nous prouvent qu’une autre dynamique est possible. Là bas, l’innovation est portée par la ville. L’écosystème est fédéré par celle-ci ou des regroupements de startups permettant une entraide chez les différents acteurs et un partage d’objectifs communs. Il y a un réel désir de partager une vision holistique avec et pour les citoyens. À Paris, IMPULSE PARTNERS tente également de créer un écosystème conséquent en proposant des mises en relations entre startups et grands groupes. Cela permet aux innovations de profiter d’un environnement économique et d’expertises plus stables tout en ayant accès à la créativité et l’agilité des startups. 

Encore une fois, concernant l’évolution de nos villes je ne peux que m’émerveiller devant la créativité de l’être Humain. Cependant, nous avons encore du chemin à faire pour réellement développer des Smart Cities tel que définies plus haut. En effet, le citoyen n’est pas un acteur dans ce changement, il est spectateur. La durabilité des solutions développées est aussi à remettre en question. Si une vision holistique n’est pas partagée, si l’écosystème n’est pas soudé, intuitivement,  je dirais que les innovations produites ne peuvent persister. C’est un ensemble que briques soudées entre elles qui permettent de faire perdurer une architecture dans le temps.

Au-delà de la pérennité, cet élan d’innovation génère un débat sans fin sur l’éthique surtout avec l’omniprésence de la digitalisation et de la data. Nos villes deviennent le terrain d’une course à l’innovation digitale coûte que coûte, pour le meilleur et pour le pire.

Et vous, qu’en pensez-vous ?


Amandine Guegano — Service Designer @ Use Design


Sources :

 « Le concept de “Smart City” n’est plus opérant », Le Monde, 25 avril 2018, propos recueillis par Laetitia Van Eeckhout, https://www.lemonde.fr/smart-cities/article/2018/04/25/le-concept-de-smart-city-n-est-plus-operant_5290389_4811534.html

“Trottinettes électriques: pour les «juicers», des clopinettes en batterie”, Libération, 10 mai 2019, par Gurvan Kristanadjaja
https://www.liberation.fr/france/2019/05/10/trottinettes-electriques-pour-les-juicers-des-clopinettes-en-batterie_1726187 [/vc_column_text][/vc_column][/vc_row]